Heian-Kyo, de l’héritage du modèle chinois à la définition du modèle japonais.

Avec 17 sites classés sur la liste de patrimoine mondial de l’UNESCO, plus de 1600 temples bouddhistes et 400 sanctuaires shinto, Kyoto détient un palmarès culturel de taille, et incarne de fait une place forte dans la culture japonaise. C’est un voyage entre la Chine et le Japon, le transfert d’un modèle urbain et de sa ré-interprétation, qui est à l’origine de la création de l’actuelle ville de Kyoto, autrefois Heian-Kyo.

un modèle emprunté à la Chine ancienne

Le Japon, jusqu’au VIIe siècle, est un pays rural. Aucune ville n’existe à proprement parlé. Aux Ve et VIe siècles, on observe les prémices d’un prototype de l’urbain. A la fin du VIe siècle, fleurit la construction des premiers temples bouddhiques et l’introduction des conceptions urbaines chinoises se fait sentir. Mais ce n’est qu’en 694 que se fonde la première capitale impériale du Japon, de son nom Fujiwara-Kyo, actuelle Kashihara, et ce jusqu’en 710. On voit dès lors apparaître une réelle organisation de la ville qui s’inspire très largement de modèles continentaux chinois, sur le système de plan hippodamien. C’est au VIIIe siècle, plus précisément entre 710 et 740, puis entre 745 et 784 que Heijo-Kyo, Nara actuelle, s’impose comme la première capitale impériale fixe du Japon. Enfin, entre 794 et 1868, Heian-Kyo, aujourd’hui dite Kyoto devient la capitale impériale et ce jusqu’à la restauration de Meiji, période phare dans la modernisation politique et sociale du Japon, qui officialisera Tokyo comme capitale.

Comme les capitales précédentes, il est décidé d’ériger Heian-Kyo selon un modèle inspiré du paradigme impérial chinois, faisant ainsi appel à des règles précises d’édification. C’est la capitale chinoise Xi’an, capitale des Tang (618-907) qui incarne alors la meilleure référence et c’est ainsi que la construction de la nouvelle capitale est guidée. La géomancie est alors très influente, et c’est l’usage de la cosmologie chinoise, très soucieuse du paysage mais aussi des énergies venues des montagnes et des cours d’eau qui orientera les choix d’implantation. La capitale respecte également une règle selon laquelle les pouvoirs impériaux doivent s’exercer depuis un point de convergence de ces énergies, ce qui justifiera l’emplacement du palais impérial.

un plan gigogne, du palais à la ville

La ville de Heian-Kyo emprunte également au modèle chinois deux autres principes : l’axialité et le système de cours fermées. La ville, avant tout vue comme le lieu d’émanation du pouvoir et du contrôle impérial central est ordonnée autour du palais (daidairi) de forme rectangulaire, plus petit, mais de mêmes proportions que le plan général de la cité. Il est situé au nord de la cité, et intègre les appartements de l’empereur (dairi). Autour du palais, la ville s’organise comme une cité administrative d’environ 5km du nord au sud sur 4,50km d’est en ouest. Un axe important nord-sud dénommé Suzaku constitue l’organe viaire principal qui structure la grille d’ensemble et relie à la porte principale de la cité (Rashomon).

Plan de la ville de Heian-Kyo en français (d'après un dessin de Nicolas Fiévé) sur https://journals.openedition.org/cipango/601#tocto1n1
Plan de la ville de Heian-Kyo en français (d’après un dessin de Nicolas Fiévé) sur https://journals.openedition.org/cipango/601#tocto1n1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le damier ainsi créé par l’application de cette grille est composé de grandes rues nord-sud dessinant chacune 4 arrondissements (bô) de 528 mètres de côté, eux-mêmes divisés en quartiers (chô) de 109 mètres de côté subdivisés à nouveau en 32 parcelles (henushi). Le chô constitue l’unité de base reproductible dans la trame mise en oeuvre. Il servira aussi bien de contrôle urbain que d’outil pour établir les titres de propriétés.

Plan du palais impérial en français (d'après Nicolas Fiévé) sur https://journals.openedition.org/cipango/601#tocto1n1
Plan du palais impérial en français (d’après Nicolas Fiévé) sur https://journals.openedition.org/cipango/601#tocto1n1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce découpage strict reflète, au-delà de son pur aspect géométrique, une hiérarchie sociale qui s’exprime selon un plan gigogne. Le dispositif mis en place prendra par la suite une place fondamentale dans le système de mesure japonais et ce jusqu’à l’échelle domestique, avec l’usage du tatamis comme module des pièces d’une maison.

une représentation cartographique dédiée

La capitale s’incarne avant tout comme un organe de gouvernement plus qu’une place forte économique. Bien que tardive, la représentation cartograhique japonaise ira dans ce sens. A la restauration de Meiji, on commence à s’intéresser aux principes ordonnateurs qui ont marqués la construction de l’ancienne capitale et les archives cartographiques permettront de faire émerger l’influence du caractère politique dans le dessin de la cité : la focale est mise sur le pouvoir impérial, au coeur des plans et influençant le sens de lecture vers le centre de la carte.

La superposition des villes à travers l'histoire, document extrait de Atlas historique de Kyoto, L_Armateur, 2008
La superposition des villes à travers l’histoire, document extrait de Atlas historique de Kyoto, L_Armateur, 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, Kyoto donne à voir l’illusion d’une cité intacte, qui, malgré des changements, des incendies, des catastrophes naturelles, des guerres de dynasties aurait conservé son authenticité. Ce n’est en réalité que la version de l’ancien palais provisoire implanté lors de reconstruction de 1855 qui nous est laissé comme trace de ce passé.

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Sarah Kenani

 

Sources :

Monuments historiques de l’ancienne Kyoto (villes de Kyoto, Uji et Otsu), UNESCO, [en ligne consulté le 30 septembre 2018], https://whc.unesco.org/fr/list/688

Marie Maurin, Le palais de Heian. Sur les pas du Genji, Cahiers d’études japonaises. [en ligne consulté le 30 septembre 2018], https://journals.openedition.org/cipango/601

Augustin Berque, Représentations de l’urbanité japonaise, Géographie et cultures, 1992 [en ligne consulté le 30 septembre 2018], https://journals.openedition.org/gc/2548

Nicolas Fiévé, Atlas historique de Kyoto : Analyse spatiale des systèmes de mémoire d’une ville, de son architecture et de son paysage urbain, L’Armateur, 2008, 528 pages

Pierre Singaravélou et Fabrice Argounès, Le monde vu d’Asie, Une histoire cartographique, Le Seuil, 2018, 192 pages

2 commentaires

  1. Cet article m’a appris plein de choses dont je n’avais pas du tout connaissance, je ne savais pas déjà. Je trouve que l’ensemble du plan soit organisé autour de la mise en valeur des institutions de pouvoir est intéressant ainsi que le fait que le palais reprennent la même forme et les mêmes proportions que la ville sur laquelle il règne.

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  2. C’est très précis et bien synthétisé. Une curiosité legitime, à propos de n’importe quel ordre spatial, est de comprendre l’effet sur la société et les individu. Qu’est-ce on peut affirmer, au delà de la mythologie ou de l’analyse culturelle? s’agit-il du même effet que la grille de Milète?

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