Écoquartiers : où est la faille ? L’exemple de la Caserne De Bonne

À l’occasion d’un certain dossier de presse, j’ai tenté de remonter le courant de pensée ayant conduit à la réalisation des premiers « écoquartiers » français. Je me suis notamment intéressée à la ZAC de la caserne de Bonne à Grenoble, projet peu souvent étudié alors même qu’il est présenté comme le premier écoquartier livré en France. L’historique du projet, en lien avec celui des Agendas 21, fait ressortir 3 temps pour le paradigme de la « ville durable » : une période de large consensus autour de l’écoquartier comme moyen de développement durable ; une période de doute quant aux résultats obtenus ; et une période actuelle de défiance.

Le temps du consensus « aveugle »

La ZAC de Bonne est l’un des premiers écoquartiers construits en France, au sein d’une ville souvent considérée comme pionnière en matière de politique environnementale : Grenoble engage dès 1997 de nombreuses initiatives en faveur du développement durable. Cependant la première tentative de création d’un Agenda 21 grenoblois est finalement avortée suite aux élections municipales, alors même que la ville faisait partie des 29 lauréats du deuxième appel à projets lancé par le Ministère de l’environnement en 2000. La création d’un « quartier durable » sur le site de la caserne de la Bonne est une occasion de montrer l’engagement de Grenoble en faveur de l’environnement.

Pourtant au début des années 2000, la reconversion du vaste terrain militaire de 8,5 hectares  ne prévoit pas la création d’un écoquartier. Celle-ci est décidée de manière opportune, lorsque la ville prend conscience que le label permettra de donner du sens au projet en emportant l’adhésion des différents acteurs (notamment économiques). La ZAC est créée en 2003, et l’écoquartier, comportant 850 logements (dont 35% en locatif social), 15 000m2 de commerces et 5000m2 de bureaux est construit en 2008. En 2009 l’État lui décerne « le prix du meilleur écoquartier », faisant ainsi du quartier un référentiel national qui n’existait pas encore.

Cet exemple montre comment les écoquartiers apparaissent comme le « laboratoire d’un urbanisme vertueux » au début des années 2000 et construisent un consensus à l’échelle nationale. La matrice conflit/ambiguïté développée par Richard E.Matland en 1995 permet d’analyser l’écoquartier comme un moyen de masquer l’ambiguïté de la politique environnementale étatique de cette période : l’absence de cadre et définition communs permettent tout à la fois de limiter les conflits et de valoriser certains «  modèles ».

Les premières désillusions

Dès la livraison du quartier en 2008, la presse locale dénonce la création d’un « ghetto de riche » et parle d’une «  écologisme de façade ». En 2011, les premiers bilans de l’écoquartier de Bonne sont rendus publics. Le Monde et Libération soulignent alors le décalage entre les attentes et les résultats de l’écoquartier. Plusieurs constats et dysfonctionnements semblent en effet noircir le « meilleur écoquartier » :

  • Le bilan énergétique met en avant des surconsommations nettement supérieures à l’objectif affiché et une mésestimation des besoins
  • Un manque de sensibilisation des habitants impliquant des comportements en décalage avec les normes écologiques prévues
  • La vie sociale du quartier est « quasi inexistante » du fait notamment d’un manque de commerces de proximité

Les articles font état d’une désillusion pour les habitants de l’écoquartier, qui imaginaient que «  tout serait parfait » et sont pourtant confrontés aux imperfections, dysfonctionnements, et exigences de comportements écologiques qui ne correspondent pas à leur mode de vie. Ces points noirs n’empêchent pas que la ZAC soit considérée comme une réussite en termes de mixité sociale et de performance environnementale – relativement aux autres expériences de quartiers «durables ».

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Ainsi cette période correspond à l’apparition des premières failles des écoquartiers : comme l’explique la géographe Cyria Emelianoff, les financements obtenus pour les projets de quartiers durables favorisent les innovations énergétique, techniques et climatiques, souvent au détriment de la réflexion sur la pérennisation de la mixité sociale et la bonne gestion du quartier sur le long terme (qui n’ouvrent pas droit à des subventions). Le déclassement du volet social dans les objectifs des écoquartiers passe également par un manque d’implication des habitants en amont : la ligne de faille des écoquartiers rencontre très vite celle de la concertation.

Vers un changement de paradigme ?

Aujourd’hui le quartier de Bonne de Grenoble continue de vivre et de porter son premier prix, il ne fait plus l’objet d’une couverture médiatique.

En revanche l’écoquartier et son label a fait l’objet d’un nombre grandissant de critiques. Dans cette vision idéalisée de la ville, certains géographes voient un retour en arrière : l’écoquartier illustrerait une nouvelle forme «  d’hygiénisme » lissant la ville et ses habitants par des principes environnementaux. D’autres dénoncent l’entre-soi créé et voulu par l’écoquartier, renforcé par une « logique insulaire » qui rejette les externalités négatives du développement durable au-delà du quartier. Cet effet est particulièrement notable concernant la place de la voiture : la piétonisation des voies peut entraîner un rejet des parkings aux limites du quartier.

C’est plus généralement la labellisation « écoquartier » et donc la généralisation d’un modèle sans prise en compte du contexte que les urbanistes cherchent à éviter aujourd’hui : l’écoquartier est un outil, qui n’a pas vocation à être répliqué partout. Les écoquartiers continuent cependant d’être créés et primés : les critiques formulées sont davantage de petites secousses qu’un réel « tremblement de terre ».

Néanmoins il est probable que le paradigme de l’écoquartier s’efface doucement à mesure que les projets de réhabilitation et construction de la ville sur la ville se développent en opposition à l’étalement urbain par la création de quartiers neufs. De plus à l’heure de l’urbanisme transitoire, la caserne de Bonne aurait-elle réellement été transformée en écoquartier ? On peut se demander si la tendance n’est pas aujourd’hui davantage à laisser émerger les contradictions qu’à tenter de lisser l’urbanisme.

 

Bibliographie :

Cyria Emelianoff, “Les quartiers durables en Europe : un tournant urbanistique ?”, Urbia – Les cahiers du développement durable, No.4, 11-30. (2007)

Yves Bonard et Laurent Matthey, « Les éco-quartiers : laboratoires de la ville durable », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Quartier durable ou éco-quartier ? (juillet 2010) URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/23202

« Huit ans après, le nouveau visage des écoquartiers », Arnaud Guarrigues, La Gazette des Communes, 02/09/2016

Articles critiques sur l’écoquartier de Bonne :

« A Grenoble, les ratés du premier écoquartier français », Benoît PAVAN, Le Monde, 10/11/2011

« A Grenoble, la caserne de Bonne n’a pas que du bon », François CARREL, Libération, 2/04/2012

« De Bonne  : des quartiers militaires au quartier policé », Le Postillon, juin 2009

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