Noisy le Grand; un manifeste sans suite ?

Dans la condition post moderne, publié en 1979, Jean Francois Lyotard popularise le paradigme de l’esthétique post moderne en mettant en exergue l’importance des schémas narratifs, des récits. Dans le Palacio d’Abraxas, de Ricardo Boffil et les arènes Pablo Picasso de Manolo Nunez-Yanowsky c’est bien un récit qui est construit. Des formes géométriques non finies, comme si la ville était un processus et non un objet fini. Ils s’inscrivent en opposition de l’architecture moderne fonctionnaliste qui rejette l’ornement et au contraire, emprunte au vocabulaire antique des colonnes, frontons et chapiteaux. Néo classiques, les architectes catalans veulent créer « Versailles pour le peuple » et battissent, à la sortie du franquisme un manifeste ambitieux visant à changer de perspective urbaine.

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Palacio d’Abraxas, Ricardo Boffil

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Arènes Pablo Picasso, Manolo Nunez-Yanowsky

Le neoclassisgme m’a toujours fasciné. L’axe majeur de Cergy Pontoise, et les ensembles de Noisy le grand font parti de mes ballades dominicales récurantes. En effet on vient aujourd’hui visiter les deux ensembles de Noisy le Grand comme les symboles de la pensée d’une époque. Ils sont fustigés, critiqués comme issus de la toute puissance d’architectes démiurges, et Abraxas sert aujourd’hui comme décor de ciment pour les scènes de films comme Brazil et Hunger games où l’on montre un gouvernement tyrannique qui oppressent le peuple.
Ricardo Boffil lui même reconnaissait dans un article du monde du 08 février 2014 « quand on est jeune on est très utopique, on pense qu’on va changer la ville et finalement rien ne s’est passé. Je n’ai pas réussi à changer la ville». Le palacio d’Abraxas devait être une alternatives aux grands ensembles modernes et normatifs de l’après guerre. Ce projet utopique, fermé sur lui même, est constitué de plus de 600 logements dans trois énormes bâtiments, et cela malgré une circulaire, qui interdisait de confier la construction de plus de cinq cents logements à une seule agence d’architecture.
Opposé a la démarche du Corbusier , Ricardo Boffil voulait rompre avec les barres et les tours anonymes. Construit grâce au préfabriqué, procédé tout nouveau en France, le projet est très ambitieux de la part de l’architecte mais aussi du promoteur car complément expérimental.
Opposé à l’ »urbanisme de blocs », cet urbanisme de cours d’arches a en son centre une place théâtralisée fermée sur l’extérieur, poncif de l’urbanisme post moderne.

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Mais les projets sont vu comme des échecs sociaux . La complexité architectural, l’omniprésence du béton, sont fustigés, les espaces communs peu propices à la vie commune.
Des problèmes de mélange de la population, de manque d’esprit communautaire, de manque d’équipement sont montrés du doigt. La « mayonnaise sociale » n’a pas réussi à prendre, apparement par manque de ce qui fait lien, restaurants, cafés, commerces de proximité, médiathèque dis t on.
L’échec semble si cuisant que Ricardo Boffil déclarait aux médias: « Mon modèle n’a pas été pris en exemple pour construire d’autres villes. Je me suis trompé dans la temporalité. La période, la fin des années 60, n’était pas propice au changement car après moi, on a continué à faire des barres. Le malheur qui règne dans les banlieues françaises n’a pas été aboli. » et le manifeste n’a finalement pas donné suite. La faille vient elle des paradigmes mêmes intrinsèques du néoclassique post moderne ou a des éléments exogènes liés aux politiques publiques dans ces ensembles de logement ?
Pourtant, en retournant visiter l’an passé, le palais de Boffil et les arènes de Nunez-Yanowsky, je découvris un autre projet niché entre les deux et fut pris d’un choc et d’une profonde remise en cause de mon métier de paysagiste. En effet, élément du renouvellement urbain du quartier, un parc tout neuf, à été dessiné par le paysagiste Michel Pena (grand prix du paysage) et mêle aux diverses essences végétales, des lieux de détente verdoyants où les déambulations sont facilitées par de longues passerelles. Le parc est un projet éminemment post moderne aussi, Michel Pena comme tous les paysagistes français contemporains sont issu de l’avènement du paysage des années 1980 et de la pensée de Michel Corajoud. D’ailleurs le jardin des sources de Noisy le Grand reconstitue bien un récit. Et quand son concepteur dit du parc « Le théâtre à plusieurs scènes végétales et minérales est agréablement animé par des sources », c’est bien pour retrouver un sens narratif à un espace en manque de sens. Le parc est bien pensé, conçu par un grand paysagiste et possède toutes les aménités voulus mais reste vide, quand les arènes sont pleines d’enfants qui jouent à la sortie des classes. Face à la déshérence du parc ovationné et le succès des espaces publics des arènes honnies, un réel questionnement de ma pratique s’est imposé. Il était peut être temps de s’inscrire au cycle d’urbanisme pour y voir plus clair.

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Jardin des Sources, Michel Pena

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